le Bouquinoire, blog littéraire

M a t h é m a g i c i e n s

M a t h é m a g i c i e n s

 

 

  

 

Au jour d’aujourd’hui on peut bien admettre que les prophètes et les magiciens ont laissé définitivement la place aux scientifiques et notamment les mathématiciens. Même si ces chercheurs de vérité travaillent dans l’ombre on sait bien que leurs travaux constituent la racine des travaux en physique et des applications technologiques de tous ordres ; et nul mathématicien moderne ne saurait plus être cité à Rome en tant que nécromant et magicien, sorcier ou usurpateur !

Maintenant, ceci sûrement pour se rendre plus abordable et dans un souci pédagogique, il existe quelque chose, comparable à la « Physique amusante », comme une mathématique amusante que l’on nomme communément « Mathématiques récréatives ». Alphonse Allais, homme d’esprit s’il en est, n’indiquait-il pas : « La logique mène à tout du moment où on en sort ».

En ce sens, il existe des jeux logiques (littéraires ou mathématiques), des illusions géométriques, des métajeux, des paradoxes (qui a dit « le paradoxe est un problème qui se tient debout sur la tête » ?) et énigmes qui permettent d’établir un parallèle entre Mathématiques et Magie en mettant en avant trois dimensions : le ludique, l’illusion et l’esthétique. Pour plaider en faveur de ce parallélisme on indiquera le souci commun à ces deux « arts » de défi logique (poser un problème et le résoudre ; déjouer un paradoxe…), de limpidité d’exécution (efficacité), d’effet esthétique obtenu. Tout en signalant bien sûr que les deux disciplines n’en restent pas moins distinctes ne serait-ce que là-même où la mathématique use par exemple de la rigueur et de la correction du calcul, la magie vient ajouter une once de ruse, de manipulation, choses relevant plutôt de l’habileté a créer des effets de surprise. Un magicien concédait : « En Cartomagie (et dans toutes les branches de la magie aussi !), il me semble que c’est un peu comme la recherche scientifique : les levées double, les sauts de coupes, les faux mélanges, les forçages, etc., sont à la cartomagie ce que la géométrie, l’analyse numérique, la trigonométrie, l’algèbre sont aux maths : les bases ! Et aucun magicien, ambassadeur ou amateur, ne peut s’en passer comme le meilleur chercheur ne peut se passer des lois, formules et théorèmes mathématiques ».

Par ailleurs, on peut avancer que la mathématique tend à l’abstraction pure pouvant bien jongler avec des idéalités mathématiques là-même où l’exercice pratique du magicien (et la présence du public faisant de cet art un spectacle avant tout) le ramène toujours à la réalité, hic et nunc, à la réussite de son tour de passe. Cette différence Louis Vuitton l’avait marquée à sa manière : « Un mathématicien, comme un magicien, peut découvrir les secrets d’un sac sans l’ouvrir. Mais un mathématicien fait mieux : il imagine ce qu’il découvre ».

Plus avant encore, nous pourrions tenter de rapprocher mais aussi de dissocier les pratiques si apparemment proches que son l’excellence des grands calculateurs et la pratique spectaculaire du Mentalisme…

 

Des travaux existent permettant d’aller plus loin avec cette problématique :

 

1/ Quelques ouvrages faisant référence : - Heath R. V., Math and Magic. Dover, USA, 1963. - Hofstadter D., Mathemagie. Intereditions, 1988. - Vollmer R., Tours de cartes ; tomes 1 à 8. Magix, 1984-2001. - Volpi, Magie et tours de cartes. Sogemo Total, 1989. - Benjamin A., Mathemagics. Contemporary Books, 1994. - Souder D., Magie et maths. ACL-Kangourou, 2001.

 

2/ Mathématiques magiques et ludiques sur l’internet. Un site fabuleux d’une part : http://perso.wanadoo.fr/therese.eveilleau/ ; un site complémentaire ensuite (très complet et où on retrouve en filigrane la figure du mathématicien Le Lionnais) : Ludimaths, http://www.fatrazie.com/ludichos.htm

 

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Mathématiques et Magie sont liées intellectuellement, tant pour la recherche que pour la pédagogie. Les mathématiciens suivants pratiquent ou ont pratiqué ou étudié la Magie :

 

Raymond Smullyan (1919- ), mathématicien et logicien américain, professeur de philosophie… mais aussi magicien. Il obtint son doctorat à Princeton en 1959. Comme étudiant il avait déjà publié un article majeur faisant directement suite à celui de Gödel (1931) et le mettant en valeur pour ses contemporains, concernant l’incomplétude au niveau des Systèmes formels. Il mena tout du long de sa carrière une longue réflexion sur les questions de logique, sur le théorème de Tarski et sur les travaux de Gödel. Ses parutions académiques majeures sont : Theory of Formal Systems et Gödel's Incompleteness Theorems. Et encore en 2001 :Smullyan R, “Gödel's Incompleteness Theorems” in Goble L. (éd.), The Blackwell Guide to Philosophical Logic. Smullyan est un auteur très apprécié en matière de mathématique et logique récréatives et de problème d’échecs, notamment en matière d’analyse rétrograde. Il a signé des livres de grande qualité comme The Chess Mysteries of Sherlock Holmes et The Chess Mysteries of the Arabian Knights ; avec souvent des titres savoureux : - This Book Needs No Title, - Alice in Puzzle-land, - What Is the Name of This Book? - To Mock a Mockingbird, - Satan, Cantor and Infinity (plusieurs ouvrages disponibles en français chez Dunod).

 

Martin Gardner (1914- ) présenté comme « mathématicien, magicien, sceptique », est un grand spécialiste des mathématiques récréatives. Il a beaucoup publié, notamment de janvier 1957 à 1981, dans Scientific American (et sa traduction française Pour la Science) ; date à laquelle son successeur commença de titrer : « Metamagical Themas », l’anagramme de « Mathematical Games » ! Ses livres sont également célèbres et traduits dans de nombreuses langues. Il a popularisé, par exemple, le jeu de la vie de John Horton Conway, le jeu Hex, les tangrams, les pavages de Penrose . L'Institut américain de physique l'a nommé écrivain scientifique de l'année 1983. Gardner avait été l’élève et l’assistant du logicien Rudolph Carnap, éminent membre du Cercle de Vienne, après que celui-ci ne fut contraint d’émigrer aux USA. Deux ouvrages excellents de mathémagie de sa part : - Mathematical Magic Show, Vintage, 1978 ; - Mathematics, magic and mystery (Dover, USA, 1956 ; Dunod, 1961, Magix, 1995).

 

François Le Lionnais (1901-1984), ingénieur chimiste de formation il embrassa la carrière de mathématicien. Mais outre des travaux scientifiques (notamment : - Les grands courants de la pensée mathématique, - Les nombres remarquables, - Dictionnaire des mathématiques, - Le temps), il écrivit aussi sur les échecs, la peinture (2 livres) et la littérature (5 livres). On saisit au mieux son approche programmatique avec la belle ouvrage Les grands courants de la pensée mathématique ; travail collectif envisagé avant-guerre et réalisé à son retour de déportation.

En outre, dès 1939, François Le Lionnais posait les bons jalons pour établir les critères de l’esthétique échiquéenne dont : - la correction ; - la difficulté ; - l’originalité ; - la richesse ; - l’unité logique ; - la perfection ; - le génie créateur. Il pratiqua le même travail de synthèse un peu plus tard pour le domaine des mathématiques avec son article « la beauté mathématique » (in Les grands courants de la pensée mathématique, Cahiers du Sud, 1948)

Il est à noter que François Le Lionnais, plus que tout autre, a toujours souhaité associer l’étude des parties d’échecs et l’étude des Problèmes d’échecs et de la composition auxquels il fait une large place dans son Dictionnaire. Il s’adonna lui-même à cette forme particulièrement esthétique du jeu, l’associant même parfois dans la réalisation de certains thèmes à l’Oupeinpo (Ouvroir de peinture potentielle), i.e. « les Chats » de Sam Loyd (1888).

Approche interdisciplinaire chez cet intellectuel. De sorte qu’entre mathématique et logique – magie et arts sous contraintes liés à l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle qu’il créa avec Raymond Queneau), on peut voir le ressort commun de l’esthétique et du ludique.

Le Lionnais fut membre de l’Association française des Artistes prestidigitateurs.

 

Persi Diaconis (1945- ) est un mathématicien et un ancien magicien professionnel. Il est professeur de statistiques (Mary V. Sunseri) et enseigne les mathématiques à l’université de Stanford. Il est en particulier connu pour aborder des problèmes mathématiques impliquant l’aspect aléatoire et la randomisation. Il confie : “The way I do magic is very similar to mathematics. Inventing a magic trick and inventing a theorem are very, very similar activities in the following sense. In both subjects you have a problem you're trying to solve with constraints. One difference between magic and mathematics is the competition. The competition in mathematics is a lot stiffer than in magic.”

Diaconis peut être perçu comme le chef de file actuel de cette bivalence selon laquelle les acrobaties du magicien, évoluant sur le fil de la logique, interrogent le théoricien ! La presse spécialisée en faisant parfois même écho. Ainsi : “A manufacturer of casino equipment consulted Persi Diaconis and Susan Holmes (Stanford University) about its new card-shuffling machine. Their analysis showed that the shelf shuffler, far from producing random decks, would allow a knowledgeable player to guess 9 of 52 cards correctly! Their advice: Feed the cards through twice. There are surprising connections to noncommutative geometry in physics and to genetic drift in biology”.

Et encore : “Magicians are experts at tying knots that look intractable yet unravel on command. Befuddled spectators find it difficult to distinguish between such phony tangles and truly knotted ropes.

Mathematicians also tussle with knots, but their task has an additional constraint. Unlike a knotted piece of rope, a mathematical knot has no free ends. In this context, text, a knot is a one-dimensional curve that winds through itself in three-dimensional space, finally catching its tail to form a closed loop. You can untie a shoelace and untangle a fishing line, but you can't get rid of the knot in a mathematician's loop without cutting the strand.

If a particular tangled loop doesn't really have a knot in it and the loop can be unraveled and smoothed out to a circle, mathematicians call the configuration an unknot.

Determining at a glance or two whether a given tangled loop is a knot or an unknot can be as difficult for mathematicians as it is for spectators of a masterly magician's knotty prestidigitations.

Knot theorists have long sought practical procedures for distinguishing knotted curves from unknotted ones. Two recent developments provide some new hints.” [Peterson I., “Knot possible: better ways to tell a tangled circle from a knotted loop. Mathematical knot research”, Science News, (Dec 8, 2001)]

 

 

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Mathémagie

 

 

 

 

 

 

Le ruban de Möbius est une curiosité topologique très facile à confectionner

 

 

 

 

 

Le criminel

 

Une affaire ancienne mettait en cause deux jumeaux. L’un au moins mentait systématiquement, mais on ne savait pas lequel. Celui qui s’appelait Jean avait commis un crime (ce n’était pas nécessairement celui qui mentait toujours). Le juge d’instruction cherchait à savoir qui était Jean.

Etes-vous Jean ? demanda-t-il à l’un des jumeaux.

Oui, répondit celui-ci.

Et vous, êtes-vous Jean ? ajouta le juge à l’intention de l’autre. Celui-ci répondit par oui ou non, et le juge découvrit aussitôt le criminel.

Qui était Jean, le premier ou le second jumeau ?

 

SOLUTION: Si le second jumeau avait répondu oui, il est clair que le juge n’aurait pas pu savoir lequel était Jean ; donc le second jumeau a répondu non. Ceci signifie que les deux jumeaux disent la vérité tous les deux, ou mentent tous les deux. Comme il y en a au moins un qui ment, ils mentent tous les deux et Jean est le second jumeau. On ne peut pas trouver lequel ment toujours.

 

 

 

 

 

Dans un carré magique, la somme de chaque ligne horizontale, de chaque colonne verticale et de chaque diagonale est égale à un même nombre S (qu’on appelle la somme magique). Loin d’avoir livré les clés de tous leurs mystères, les carrés magiques et leurs nombreuses variétés repoussent continuellement les limites de la recherche mathématique. Aujourd’hui, ils constituent de nouveaux défis, notamment pour les algébristes ou pour le calcul scientifique sur ordinateur.

De grands mathématiciens tels que Pierre de Fermat (1601-1665), Leonhard Euler (1707-1783), Karl Friedrich Gauss (1777-1855), Edouard Lucas (1842-1891)… ont étudié les carrés magiques. Blaise Pascal (1623-1662) a également écrit un Traité des carrés magiques, Traité des nombres magiquement magiques, qu’il a adressé en 1654 à l’Académie des Sciences : il s’agissait de carrés à enceintes. (cf. J. Darriulat - 1994)

Les carrés magiques sont apparus très anciennement en Orient, aux Indes, et notamment en Chine, au cours des premiers siècles de notre ère, pour les carrés magiques d’ordre petit. Mais pour les ordres plus grands, les méthodes générales de construction semblent avoir pris naissance en Perse, dès le IXème siècle : on trouve des carrés magiques d'ordre n = 8, sans doute provenant de problème intéressant le jeu d’échecs (qui serait lui-même originaire des Indes au VIIIème siècle).

On connaît un Traité des Carrés Magiques, ou « Arrangement harmonieux des nombres », rédigé en arabe, datant du XIème siècle (cf. J. Sésiano - 1996)

Les Carrés magiques n’auraient été introduits en Europe qu’au début du XVème siècle, notamment par Manuel Moschopoulos. Mais ils étaient sans doute connus de façon empirique (non mathématique) par les magiciens et alchimistes des siècles antérieurs, sous forme d’amulette ou de talisman.

L’ouvrage central sur la question : Descombes R., Les carrés magiques. Histoire, théorie et technique du carré magique, de l’Antiquité aux recherches actuelles (Vuibert, 2000). Tout sur les carrés magiques : carrés latins, eulériens, bimagiques, hypermagiques, classement, pavages, mosaïques, histoire, constructions, propriétés, théorie, jeux, art... Avec un site Internet de référence réalisé par le fils de l’auteur : http://www.kandaki.com/CM-Index.htm

 

 

 

 

 

 

L’addition magique

 

EFFET : Le magicien écrit une prédiction sur un papier et le donne à une personne.
Il demande à 3 personnes d’écrire un nombre de 4 chiffres sur une feuille, le magicien inscrit alors trois nombres, une personne fait l’addition ; on regarde le total et il s’avère être le même
que ce que le magicien avait prédit.

EXPLICATION : Le magicien écrit 29997 sur un papier et le donne à quelqu’un ;
le premier spectateur écrit par exemple 1905, le deuxième 5458, le troisième 9653.

Le magicien écrit 3 nombres 8094, 4541, 0346.

Total : 29997

POURQUOI ? Le magicien complète ces nombres pour arriver à 9999 dans le premier exemple
si le premier spectateur a écrit 1905 le magicien choisi 8 car 8 plus un égale 9, ensuite il écrit 0 car 0 plus 9 égale 9, etc.

C’est à vous de jouer !

 

 

 

 

 

Le fruit de la pensée

 

DEROULEMENT : Devant le public, vous écrivez le mot "kiwi" (le public doit voir que vous écrivez, mais ne doit pas pouvoir lire ce que vous écrivez) sur un papier que vous mettez ensuite dans une enveloppe. Scellez l’enveloppe. Demandez ensuite à un spectateur de penser à un chiffre entre 1 et 9, puis de le multiplier par 9. Il doit ensuite soustraire 5 de ce résultat, puis il doit ensuite additionner les chiffres obtenus jusqu’à ce qu’il n’obtienne qu’un chiffre. Par exemple, si le nombre obtenu est 59, il doit additionner le 5 et le 9, cela donne 14. Il y a encore 2 chiffres alors il doit recommencer : il additionne le 1 et le 4, cela donne 5. Il a fini pour cette étape.

Vous lui dites ensuite que A = 1, B = 2, C = 3, etc. Il doit prendre la lettre correspondante au chiffre qu’il a obtenu (ce sera 4, donc D). Il doit ensuite trouver un nom de pays qui commence par cette lettre (il pensera presque certainement à Danemark). Il doit ensuite prendre un nom de fruit qui commence par la dernière lettre du nom du pays… Vous lui demandez de dire ce fruit à voix haute, puis d’ouvrir l'enveloppe...

99 % de réussite assurée !

 

 

 

 

Dany Sénéchaud

in Revue de prestidigitation, Paris, n° 551, janvier 2006

 

 

 

 



03/09/2012
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