le Bouquinoire, blog littéraire

Philosophie : Hegel secrètement

Disparition en cette année 2012 de Jacques D'Hondt éminent historien de la philosophie.

 

J'avais évoqué la parution de son dernier ouvrage dans un article :

 

 

 

 

HEGEL, SECRETEMENT

 

 

Dany Sénéchaud

 

 

RECENSION

 

 

Jacques D’Hondt, Hegel, biographie. Calmann-Lévy, Paris, 1998. 424 pages.

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Jacques D’Hondt, l’un des meilleurs spécialistes français [1], restitue dans un fort volume une figure historique, inquiétante et séduisante du philosophe allemand.

 

 

  Les philosophes vivent aussi. Hegel étudiant espiègle, précepteur appauvri à Berne, journaliste à Bamberg, franc-maçon, amoureux et père d’un fils naturel, une sœur folle qu’il adorait... Voici une biographie que son auteur, Professeur honoraire à l’Université de Poitiers et longtemps directeur du Centre de Recherche et de Documentation sur Hegel et Marx, qualifie d’« insolente », un tantinet « tapageuse » vis-à-vis du milieu spécialisé des travaux universitaires habituels. Pour J. D’Hondt, rendre compte valablement d’une pensée aussi complexe que celle de Hegel, c’est éclairer l’ambiguïté des propos tenus avec les aléas d’une vie intellectuelle et personnelle hors du commun. Bref, c’est continuer d’organiser le décryptage des textes : « La Phénoménologie de l’esprit, la Logique, l’Encyclopédie : une œuvre qui passait en ampleur, en variété, en exhaustivité, en profondeur celles des autres, et cela aussi bien aux yeux des profanes qui n’y comprenaient rien mais s’en laissaient imposer, qu’aux yeux des spécialistes qui ne comprenaient qu’à moitié, mais cette moitié leur suffisait » (p. 314).

 

  La pensée de Hegel est totalisante et semblera demeurer sans reste maintenant. Pour l’auteur il s’agit bien ici de remettre à leur place des contingences biographiques prégnantes : - les déboires avec les autorités politiques et religieuses toute une vie durant (avec comme point d’orgue l’« affaire Cousin » en 1824)… ; - l’institution universitaire qui le reconnaît tardivement à 50 ans… L’auteur de préciser : « Hegel a dissimulé aux autorités, qui les auraient condamnées et réprimées, certaines de ses pensées, de ses réactions, de ses actions. Quelques biographes ont a leur tour tenté de dissimuler cette dissimulation » (p. 315).

 

  Au sujet de ses liens avec la franc-maçonnerie, Hegel cultivait le secret on s’en doute. C’est sûrement pourquoi sa mort est restée elle-même mystérieuse… D’Hondt fait avec cette somme de travail office d’investigateur. C’est pour cette raison qu’il l’ouvre sous l’angle des arcanes du « Hegel secret ». Il indique même : « les études préparatoires manquent. On aimerait que des maçons ou de bons historiens de la maçonnerie examinent avec compétence le cas Hegel, maintenant attesté » (p. 21). De ce fait, il faut tout aussitôt inverser notre propos : avec Hegel, qu’on le veuille ou non, on en a jamais fini ! Autant dire que cet ouvrage tiendra en haleine les lecteurs avertis ou simplement intéressés par la biographie intellectuelle et historique d’un grand philosophe. D’Hondt est conscient de l’envergure du projet annoncé et note, sans une pointe d’humour, ironie de l’histoire des hommes célèbres : « Un bon roman policier a besoin aussi d’un détective extralucide » (p. 382).

 

  Il s’agit de bien comprendre en cela que certains parmi les spécialistes, plutôt que de reconnaître la diversité de Hegel, lui préfèrent quasiment un partage : « accordez-nous le conservatisme de la maturité et nous vous laisserons la jeunesse subversive » (p. 310).

 

  Il demeure toutefois que d’étape en étape, de la Souabe natale à Berlin et la gloire tardive, J. D’Hondt distille quelques chapitres denses qui aideront à la compréhension d’une époque et d’un homme.

Sur la formation d’abord, au légendaire Stift, il convient d’en dire que celui-ci menait à tout pourvu d’en sortir ! Le mot de Hölderlin à ce sujet peut être rappelé : « les jeunes élèves des Muses, au sein du peuple allemand, grandissent plein d’amour et d’espérances, habités par l’esprit ; on les revoit sept ans plus tard errer silencieux et glacés comme des ombres. Ils sont comme un sol d’un ennemi ensemencé de sel pour qu’il n’y pousse plus un seul épi » (Hypérion). De sorte que le jeune Hegel déploie plutôt son côté riant en marge du Stift, ne se sentant libre que lorsqu’il a franchi la porte.

 

  Constamment Hegel aura cette démarche de dire/de taire les événements à demi-mot. S’agissant du cadre politique et religieux, il a évidemment une conscience lucide de la réalité prussienne et de son arbitraire héréditaire. « Il parviendra à le faire savoir en se risquant à critiquer en Angleterre, ce qu’il n’a pas le droit de dénoncer en Prusse » (p. 353).

 

  C’est certainement cet aspect des choses qui suscite l’admiration sans borne de Jacques D’Hondt à l’égard de l’œuvre hégélienne. Le ton est dithyrambique lorsqu’il s’agit de qualifier l’ouvrage-phare, Phénoménologie de l’Esprit (1807) :

« ... Une oeuvre prodigieuse, surprenante, unique en son genre dans la littérature philosophique : un texte d’une riche diversité de contenu où les thèmes les plus variés s’entremêlent baroquement, tout en constituant les moments successifs d’un développement unique et systématique » (p. 35).

 

  Le goût du secret chez Hegel est à remarquer. La langue allemande le lui rend bien. D’Hondt de nous redire l’intérêt de cette lecture de l’œuvre hégélienne dans le texte : Hegel y cultive « l’art d’atténuer dans une deuxième partie d’une phrase l’idée audacieuse qu’il avançait dans la première partie. Cet art de la clausule suppose une grande agilité d’esprit qui se cache dans un style alambiqué (...). Hegel pratique souvent le double langage dans un même alinéa, une même phrase, et même un seul mot ! »

 

 

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[1] Pr D’Hondt a créé et dirigé à Poitiers le Centre de Recherche et de Documentation sur Hegel et Marx, laboratoire associé au CNRS. D’Hondt aura marqué plusieurs générations d’étudiants et impulsé de nombreuses recherches. Il a publié, entre autres choses, la première biographie de Hegel en France (1966).

Un ouvrage collectif en hommage à ses contributions au domaine de l’histoire de la philosophie a paru : Mélanges offerts à Jacques D’Hondt, J.-C. Bourdin & M. Vadée (dir.), La philosophie saisie par l’histoire. Ed. Kimé, Paris, 1999. Un livre comportant son interview et des contributions de collègues autour des thèmes qui ont unifié ses recherches. On verra également : F. Li Vigni, Jacques D’Hondt et le parcours de la raison hégélienne. L’Harmattan, Paris, 2005.

Du même :

J. D’Hondt, Hegel, philosophe de l’histoire vivante. P.U.F., Paris, 1966.

, Hegel, sa vie, son œuvre. P.U.F., Paris, 1967 ; 1975.

, Hegel secret. Recherches sur les sources cachées de la pensée de Hegel. P.U.F., Paris, 1968.

, Hegel en son temps : Berlin 1818-1831. Eds. Sociales, Paris, 1968.

, De Hegel à Marx. P.U.F., Paris, 1972.

, Hegel et les Français. Eds. Olms, Allemagne, 1998 (diffusion Vrin).

 

 

 



02/09/2012
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